Le 3 octobre 1867, voilà exactement 155 ans, Pierre Bonnard voit le jour à Fontenay-aux-Roses. Il va devenir un des peintres les plus importants de la première moitié du XXe siècle et l'un des plus grands coloristes de la peinture occidentale.
Son père, Eugène Bonnard, était d'origine dauphinoise, sa mère, Élisabeth Mertzdorff, alsacienne. D'aucuns expliquent par cette ascendance certains traits de caractère du peintre, goût de l'indépendance et abord réservé.
En 1886, il s'inscrit à la faculté de droit pour obéir à la volonté de son père qui le destine à une carrière administrative, mais il s'inscrit également à l'académie Julian et aux Beaux Arts, il mènera de front études juridiques et études artistiques. En dépit d'un échec au concours de Rome – qui ne l'affecte guère – l'année 1889 est bénéfique pour Bonnard : il vend sa première œuvre, un projet d'affiche pour la marque France-Champagne, et d'enthousiasme décide de se consacrer uniquement à la peinture. Suite au succès de cette affiche, il peut être considéré comme l'un des créateurs de l'affiche contemporaine.
Pour lui, comme pour ses camarades d'études, l'exposition au café Volpini, en juin 1889, de dix-sept toiles de Gauguin est une véritable révélation. L'importante exposition d'art japonais ouverte en avril 1890 à l'École des Beaux-arts suscite également l'admiration de Bonnard. En mars 1891, au Salon des indépendants, il expose pour la première fois : son envoi comprend cinq tableaux et quatre panneaux décoratifs. Ce premier envoi prouve qu'il a compris le message de Gauguin et que son admiration pour les estampes japonaises n'était pas un engouement passager. L'influence de la peinture nippone se remarque nettement dans Le Peignoir (1892), huile sur velours au Musée d'Orsay.
De 1893 à 1898, Bonnard rapporte de ses promenades dans Paris une série de scènes de la vie quotidienne qui ont le charme d'instantanés photographiques. Il ne cesse, pendant toute cette période, de s'initier aux moyens d'expression plastique les plus divers : décoration sur bois, sur tissu, cartons de tapisserie, projets de vitraux. Avec L'Indolente (1899), Bonnard peint son premier chef-d'œuvre.
À côté des œuvres de caractère intimiste, où la tonalité assourdie de l'ensemble ne fait que mieux ressortir de brusques fusées de couleur franche, le reste de la production des années 1899-1900 annonce sans équivoque un renouvellement et un élargissement de la gamme chromatique. Le choix même des sujets est significatif. Les scènes d'extérieur se multiplient.
Et tout naturellement, à travers les paysages qu'il peint de 1900 à 1904, Bonnard est amené à méditer la leçon de l'impressionnisme,
De 1905 à 1909, Bonnard parcourt l'Europe et ses musées, visite l'Algérie et la Tunisie. Il suit en simple spectateur les diverses expériences picturales qui marquent le début de ce siècle. L'expression de la lumière devient sa préoccupation majeure. Il interroge avec passion les impressionnistes mais refuse d'être, comme eux, esclave de l'instant, à l'affût d'une réalité perpétuellement mouvante.
Le souci de construction l'emporte chez lui sur l'analyse de la sensation colorée, comme en témoigne l'importante série de nus qu'il entreprend dès cette époque. C'est à ce moment qu'il commence ses variations célèbres sur le thème du « nu à la toilette » dont sa compagne, Marthe – qui deviendra Mme Pierre Bonnard en 1925 – est l'unique modèle. L'admirable Nu à contre-jour du musée de Bruxelles est probablement le chef-d'œuvre du genre.
Le séjour que Bonnard effectue en juin 1909 à Saint-Tropez auprès de Manguin marque une étape décisive dans l'évolution de son œuvre. Dans la lumière du Midi, sa palette se libère de toute contrainte, s'enrichit de toute la gamme chromatique. De toute façon, Bonnard n'entend pas demeurer dans l'ombre des impressionnistes. Il écrira plus tard : « Quand mes amis et moi voulûmes poursuivre les recherches des impressionnistes et tenter de les développer, nous cherchâmes à les dépasser dans leurs impressions naturalistes de la couleur. L'art n'est pas la nature. Nous fûmes plus sévères pour la composition. Il y avait aussi beaucoup plus à tirer de la couleur comme moyen d'expression. Mais la marche des progrès s'est précipitée, la société était prête à accueillir le cubisme et le surréalisme, avant que nous ayons atteint ce que nous avions envisagé comme but. Nous nous sommes trouvés en quelque sorte suspendus dans l'air... »
La très belle Salle à manger de campagne (1913), est très révélatrice à la fois des influences impressionnistes et de leur dépassement.
À partir de 1920 et jusque vers 1935, la production de Bonnard est d'une richesse si prodigieuse qu'il est impossible de la caractériser en quelques mots. Tout au plus peut-on en souligner certaines tendances. Reconnu par ses pairs, admiré dans toute l'Europe et le Nouveau Monde, Bonnard est alors en pleine possession de son génie. Chacune de ses œuvres, ou presque, propose une solution originale au problème de l'expression de la couleur dans l'espace plastique.
Pour définir les œuvres des dix dernières années du peintre, on peut parler d'une peinture visionnaire. En effet, plus rien ne compte désormais pour Bonnard que le lyrisme exacerbé de la couleur. Toute référence au réel est définitivement écartée. Partout, ce ne sont que ruissellements de couleurs portées jusqu'à l'incandescence.
Affichiste, décorateur, lithographe, Pierre Bonnard a influencé plusieurs générations de peintres. Son apport fondamental à l'élaboration du langage figuratif de notre temps réside dans l'exploration méthodique des ressources de la gamme chromatique, le refus de la perspective traditionnelle et l'affirmation du caractère bidimensionnel de l'espace pictural.
Chaque univers créé par un artiste renouvelle notre vision du monde. Proust a longuement rêvé sur ce paradoxe. Ces femmes qui passent dans la rue sont maintenant pour nous des Renoir, ces mêmes Renoir où l'on se refusait jadis à voir des femmes. Bonnard nous fait aussi porter des lunettes magiques : d'abord notre vue se brouille, nous ne reconnaissons pas le monde dans la symphonie de couleurs qui nous est proposée, mais bientôt tout s'ordonne et s'éclaire, l'accommodation s'est faite à notre insu, et tout ce décor réel qui nous semblait si familier, cette table dressée, ces fruits dans la coupe, cette fenêtre où crépite la lumière de l'été, nous ne les verrons plus jamais du même œil qu'autrefois. Quelque chose d'essentiel nous a été révélé, qui a, pour toujours, transfiguré les apparences.
C'est le 23 Janvier 1947 que Bonnard s'éteint dans sa propriété du Cannet, laissant sur le chevalet une toile inachevée : L'Amandier en fleur.
Ce même jour paraissait le n° 4 du Journal de Tintin...
... mais c'est une autre histoire !
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