Le samedi 24 avril 1915, voilà exactement 118 ans, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle qui va faire environ 1,2 à 1,5 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc.
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait encore une majorité de chrétiens. « Protégés » du fait de leur statut de subordination, ils sont soumis à de lourds impôts, ont l'interdiction de porter les armes et de posséder un cheval, ce qui les met dans l'incapacité de se défendre. Ils ne peuvent pas non plus plaider en justice contre un musulman qui les aurait dépouillés ou brutalisés !
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200 000 à 250 000 avec le concours des montagnards kurdes. À Constantinople même, la violence se déchaîne contre les Arméniens du grand bazar, tués à coups de bâton.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées.
Ces massacres planifiés ont déjà un avant-goût de génocide. Mais le sultan Abdul-Hamid II fait le maximum pour dissimuler son forfait et paie la presse européenne pour qu'elle fasse silence sur ces massacres.
Il joue par ailleurs la carte de chef spirituel de tous les Musulmans en sa qualité de calife.
Mais malgré ses efforts, il ne peut empêcher l'insurrection des « Jeunes-Turcs ». Ces officiers, à l'origine du sentiment national turc, lui reprochent de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes.
Le 27 avril 1909, les Jeunes-Turcs installent sur le trône un nouveau sultan, Mohamed V, sous l'étroite surveillance d'un Comité Union et Progrès.
Soucieux de créer une nation turque racialement homogène, ils multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure.
Le 1er novembre 1914, l'empire ottoman entre dans la Grande Guerre aux côtés des empires allemand et austro-hongrois, contre la Russie et les Occidentaux.
Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100 000 hommes. Dans l'hiver 1914, elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Chrétiens dans les territoires qu'elle traverse en particulier arméniens.
Par ailleurs, on retire du front les 120 000 soldats arméniens de l'armée ottomane et on les désarme. Ils sont affectés à l'arrière à des bataillons de travail. Dans les semaines qui vont suivre, ils vont être systématiquement exécutés.
Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles en vue de se saisir de Constantinople.
Les Jeunes-Turcs profitent des troubles pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l'Asie mineure.
Le ministre de l'Intérieur ordonne l'assassinat des élites arméniennes de la capitale. C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
L'objectif officiel est de déplacer les Arméniens et autres
Chrétiens des provinces orientales d'Anatolie vers Alep et des camps installés dans le désert de Syrie.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers une région désertique de la Syrie ottomane. Ces marches forcées débouchent en général sur une mort rapide.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Dans une ultime phase, le gouvernement turc décide de liquider, de toutes les manières possibles, les 700 000 malheureux qui ont survécu aux marches de la mort et sont parqués dans les camps de Syrie.
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide. Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et le nouveau gouvernement de l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais les Turcs se ravisent et décrètent une amnistie générale, le 31 mars 1923.
La même année, la Turquie parachève sa « turcisation » en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istanbul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, devient dès lors exclusivement turque et musulmane.
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'instigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
En France, la reconnaissance du génocide arménien est intervenue dans une loi de 2001 et une journée nationale de commémoration a été pour la première fois célébrée le 24 avril 2019.
Dans le monde, la reconnaissance rallie chaque année de nouveaux pays. Le dernier date du 8 février 2023 qui voit le Sénat mexicain reconnaître le génocide arménien. Mais plusieurs pays refusent toujours de considérer les massacres arméniens comme un génocide, comme le Royaume-Uni, Israël, la Turquie et l'Azerbaïdjan pays actuellement en guerre contre l'Arménie... mais c'est une autre histoire
Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d'Hérault, à écouter ICI