Le 23 juin 1848, voilà exactement 174 ans, au point du jour, une foule s'ébranle sur la place de la Bastille, au pied de la colonne de Juillet. Elle commence à dresser des barricades. Il va s'ensuivre trois jours de violents combats avec la troupe.
Quelques mois plus tôt, en vue de procurer aux chômeurs un petit revenu en échange d'un travail symbolique, le gouvernement provisoire de la IIe République, sur une idée du socialiste Louis Blanc, crée les Ateliers Nationaux.
L'administration des Ateliers Nationaux est confiée à un conservateur qui va s'employer à les disqualifier. Tandis que les effectifs employés croissent vertigineusement de 25.000 à près de 120.000, on ne leur confie aucun travail susceptible de concurrencer une entreprise privée. Les bénéficiaires pavent et dépavent les rues en contrepartie d'un franc par jour. Désœuvrés, ils refont le monde et cultivent qui les idées bonapartistes, qui les idées socialistes. Cette mesure se révèle coûteuse et les chantiers deviennent vite des foyers d'agitation révolutionnaire.
Symbole de la fraternisation et de l'unanimisme républicain qui prévalent au lendemain de la révolution de février, les Ateliers Nationaux vont être les premières victimes du changement politique et du virage conservateur qui s'opère au printemps 1848
Les 23 et 24 avril ont lieu les élections législatives et constituantes. Elles amènent à l'Assemblée une forte majorité de notables provinciaux, très conservateurs et méfiants à l'égard du peuple ouvrier de Paris.
Le 4 mai, l'Assemblée proclame solennellement la République et dans l'attente d'une Constitution, c'est une Commission exécutive qui dirige le pays.
Les députés conservateurs ont beau jeu de dénoncer l'inanité du système des Ateliers Nationaux et le danger qu'il représente pour la République. Soutenue par les députés, y compris Victor Hugo, la Commission décide donc, le 20 juin 1848, de supprimer les Ateliers Nationaux avec l'espoir d'étouffer ainsi l'agitation ouvrière. C'est le contraire qui survient...
Sur 120.000 ouvriers licenciés par les Ateliers Nationaux, 20.000 se rassemblent sur la place de la Bastille, au pied de la colonne de Juillet (monument commémoratif de la Révolution de 1830), au matin du 23 juin 1848. Guidés par un dénommé Pujol, au cri de : «La Liberté ou la Mort», ils commencent à se répandre dans les rues et à former des barricades. On en comptera au total près de 400.
Face aux émeutiers, la police parisienne avec ses 3 000 membres est impuissante et ne peut qu'alerter les autorités. Sans excès de précautions, la Commission exécutive charge le général Cavaignac de la répression. Il a à sa disposition 25 000 militaires de l'armée française, en grande partie des fils de paysans, 17 000 gardes nationaux (boutiquiers et bourgeois de Paris et de province), 15 000 gardes mobiles (recrutés dans les parties les plus pauvres du prolétariat parisien) et 2 500 gardes républicains (ex-municipaux) de la police. La répression est terrible, à la mesure de l'effroi qu'éprouvent les bourgeois de l'Assemblée. Le 25 juin 1848, les insurgés résistent encore à l'Est de la capitale, entre Bastille et Nation.
Le lendemain, le Général Lamoricière prend d'assaut ces 65 dernières barricades ! C'est la fin de l'insurrection.
Au total, du 23 au 26 juin, en trois jours de combats dans l'ensemble de la capitale, on relève 1.600 morts parmi les forces de l'ordre et 5.000 morts parmi les insurgés dont beaucoup fusillés sans jugement. 25000 seront arrêtés. Le gouvernement républicain condamne plus de 11.000 personnes à être transportées sans jugement en Algérie. Après plusieurs séries de grâces et le vote de la loi du 24 janvier 1850, ce nombre sera heureusement réduit à 460.
Les journées de Juin 1848 coupent la IIe République de sa base populaire. Un inconnu, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon le Grand, va habilement tirer parti de cette contradiction et renverser la République discréditée par ses outrances...
Pendant les émeutes de juin 1848, Adolphe Thiers, membre de la Commission exécutive, propose à celle-ci rien moins que d'évacuer la capitale et d'y revenir en force pour éradiquer la racaille socialiste et ouvrière.
Thiers, qui fut précédemment ministre de Louis-Philippe, avait soumis un plan similaire à celui-ci lors des émeutes de Février mais le roi l'avait rejeté avec horreur, ne voulant pas faire couler le sang du peuple.
La Commission exécutive de 1848 rejette également le plan de Foutriquet, surnom donné à Thiers par les chansonniers en raison de sa petite taille. Mais en mars 1871, quand il deviendra lui-même «chef du gouvernement provisoire de la IIIe République», Thiers l'appliquera pour de bon, ce qui aura pour effet de provoquer la tragédie de la Commune.
Les propos de Thiers à la Commission exécutive en 1848 sont rapportés par Alexis de Tocqueville également membre de cette Commission et témoin oculaire.
Extrait des Souvenirs de Tocqueville écrits en 1851:
«Je me connais en insurrection ; celle-ci, croyez-moi, est la plus terrible qu'on ait encore vue. Dans une heure, les insurgés peuvent être ici, et nous serons massacrés individuellement. Ne pensez-vous pas qu'il conviendrait de nous entendre pour proposer à l'Assemblée, dès que cela nous paraîtra nécessaire et avant qu'il ne soit trop tard, de rappeler autour d'elle les troupes, afin que, placés au milieu d'elles, nous sortions tous ensemble de Paris pour aller transporter le siège de la République dans un lieu où nous puissions appeler l'armée et toutes les gardes nationales de France à notre aide ? » Il dit cela d'un ton très animé et avec plus d'émotion peut-être qu'il ne convient d'en montrer dans les grands périls.
Ce passage de Tocqueville vaut d'autant plus la peine d'être lu que l'auteur mort en 1859 bien avant la Commune, ne peut être suspecté d'avoir réinterprété ses souvenirs à la lumière de celle-ci.
Commune de Paris qui finira dans le sang en 1871 et fera plus de 10 000 victimes !
.... mais c'est une autre histoire !
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