Le 2 juin 1740, voilà exactement 282 ans, le marquis Donatien Alphonse François de Sade voit le jour à l'hôtel parisien de la famille de Condé, à Paris. En parlant de Sade, on pense aussitôt à Casanova ou à Don Juan qui furent aussi de grands libertins !

Élevé au château familial de Saumane, près d'Avignon, il a une première approche du libertinage auprès de son père et de son oncle, un abbé lettré qui vit en galante compagnie avec une mère et sa fille.

Le 17 mai 1763, il épouse une riche héritière, Renée-Pélagie, fille d'un magistrat. Malgré les frasques de Donatien, ou à cause d'elles, le couple s'entend plutôt bien et donne le jour à trois enfants. Leur ménage est une alternance de déclarations passionnées et d'insultes.

Les ennuis commencent la même année, le 29 octobre 1763, avec l'incarcération du jeune homme à Vincennes  sur une accusation de comportements violents et blasphématoires dans un bordel. Il est libéré dès le 13 novembre sur intervention de son père !

Plus grave est l'affaire qui suit. Le 3 avril 1768, une veuve de 36 ans, Rose Keller, l'accuse de l'avoir entraînée dans un bordel, ligotée sur un lit et soumise à différents sévices. Tout cela le jour de Pâques.

Le scandale est immense. Il faut dire que, quelques mois plus tôt, pour bien moins que ça, on a torturé, décapité et brûlé à Abbeville le malheureux chevalier de la Barre pour blasphème et sacrilège.

Mais le marquis a l'avantage, lui, d'appartenir à la haute société. Il est libéré dès le mois de novembre.

Son inconduite est notoire, conforme au demeurant à celle de nombreux aristocrates de sa génération, sans parler du vieux roi Louis XV lui-même qui cherche le plaisir dans l'hôtel du Parc-aux-Cerfs, où des femmes, souvent très jeunes, y étaient entretenues pour satisfaire sa concupiscence.

Mais une nouvelle affaire vient corser le dossier de Sade : quatre filles accusent le marquis et son valet d'avoir tenté de les droguer et les sodomiser dans un hôtel de passe de Marseille, le 25 juin 1772. Condamné à mort par contumace, il échappe à l'exécution mais sa réputation est brisée. Dans l'intérêt de la famille mais aussi pour le protéger contre lui-même, sa belle-mère le fait interner à Vincennes par lettre de cachet le 13 février 1777.

En prison à 37 ans, le marquis de Sade se rêve en écrivain surtout en auteur de théâtre mais on lui fait comprendre qu'il n'a aucun avenir dans ce genre. Qu'à cela ne tienne, écrit-il, à défaut de s'illustrer dans le théâtre, il s'illustrera par d'autres écrits,  érotiques en particulier ...

Le 29 février 1784, il est transféré à la Bastille. Dans la crainte que ses manuscrits ne soient saisis, il met au net celui auquel il attache le plus de prix, Les Cent-Vingt journées de Sodome. Il le recopie sur d'étroits feuillets collés bout à bout et cache le tout entre deux pierres. Quand il est expulsé de sa cellule, le manuscrit disparaît.

Libéré le 2 avril 1790, à la faveur des événements révolutionnaires, obèse et quelque peu usé, coupé de sa famille, le marquis fait publier l'année suivante son roman Justine ou les malheurs de la vertu, qui le classe définitivement parmi les auteurs libertins.

Soucieux de respectabilité, il prend le train de la Révolution en marche. Cela n'empêche qu'il demeure attaché au roi et surtout aux privilèges de l'aristocratie : « Je veux qu'on rende à la noblesse son lustre parce que de le lui avoir ôté n'avance à rien ; je veux que le roi soit le chef de la Nation », écrit-il en décembre 1791  ! Il se fait remarquer le 9 octobre 1793 par un Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier dans lequel il dénonce le christianisme mais aussi toute forme de religiosité. Ses outrances ont l'heur de déplaire au pudibond Robespierre, qui voit la morale et la religion comme des nécessités sociales.

Le 5 décembre 1793, Sade, à nouveau incarcéré, échappe à la guillotine d'extrême justesse grâce à la chute de Robespierre, le 9 thermidor... Sous le Directoire, enfin, bénéficiant de l'extrême déliquescence des mœurs, il multiplie les publications à caractère pornographique. Mais le vent tourne. Le 6 mars 1801, ses manuscrits sont saisis sur ordre du Premier Consul, qui a le souci de se réconcilier avec l'Église et d'établir un ordre moral respectueux de son autorité. Il est à nouveau enfermé à l'asile de Charenton, près de Paris, où il décèdera le 2 décembre 1814.

Ses romans vont circuler sous le manteau tout au long du XIXe siècle et distraire Stendhal, Flaubert, Baudelaire, Verlaine... Mais c'est au surréalisme qu'il revient de l'avoir découvert. Apollinaire et Breton ont été fascinés par la prodigieuse libération de l'imaginaire qui s'opérait dans l'éclatement du langage de Sade. Depuis lors, Il est devenu pour beaucoup d'écrivains du 20ème siècle un véritable phare. Ses écrits sont publiés dans la prestigieuse édition de la Pléiade en 1990 et sont aujourd'hui accessibles à tous sur internet.

Libertin perdu en son siècle, Sade fait figure d'extraterrestre. Par la force de sa pensée philosophique, il diffère littéralement des romanciers libertins de son temps. Cette philosophie est des plus fortes et des plus destructrices qui soient. Elle nie deux postulats alors généralement admis : l'existence de Dieu et la bonté de la Nature. Le philosophe s'attaque donc à la fois aux religions et à tout un courant de pensée cher au 19ème siècle. Pour Sade Dieu n'existe pas et rares sont ceux qui l'ont proclamé avec autant de véhémence. Quant à la nature dont il en conteste la notion elle-même, il considère, à l'opposé de Jean-Jacques Rousseau, que l'homme est foncièrement mauvais et que le mal est voulu par cette même nature qui produit tout autant des forces créatrices que destructrices. La morale et la religion, en freinant les penchants naturels, contrarient la nature.

En disant et en écrivant ce qu'on ne doit pas dire et encore moins écrire, l'écrivain affronte un interdit et le transgresse. Du coup il remet en cause tout le système social.

L'œuvre de Sade devient du coup beaucoup plus complexe et d'une surprenante force de négation : de la théologie, de la philosophie mais aussi de la littérature elle-même. On est bien loin de l'image fausse et assez puérile du "divin marquis" sadique et méchant homme !

En parlant de Sade, on pense aussitôt à Casanova ou à Don Juan qui furent aussi de grands libertins !

.....mais eux, c'est une autre histoire !

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