Une autre histoire – 2 décembre 1959, la catastrophe du Malpasset

par | 30 novembre 2024 | Culture

Le 2 décembre 1959, voilà exactement 65 ans, en pleine soirée, à 21h13, une vague de 40 mètres de haut représentant près de 50 millions de mètres cubes d’eau déferle dans toute la vallée en aval de Malpasset ravageant campagnes et villages, jusqu’à la ville de Fréjus.

Depuis le 27 novembre des pluies torrentielles se sont abattues sur la côte méditerranéenne et sur le Var notamment. Un peu comme il y a quelques années : dans la seule région de Fréjus, 21 millions de m3 d’eau sont tombés et sont venus remplir pour la première fois le nouveau barrage de Malpasset.

Le bruit du craquement de sa voûte alerte en premier le gardien de l’ouvrage, qui se réfugie en haut de sa maison, à 2 km et demi en aval. Bien lui en prend La catastrophe est précédée d’un grondement sourd et a surpris les habitants de Fréjus en pleine obscurité.

Ce fut un raz de marée avec des vagues dont la hauteur atteint près de huit mètres qui déferlent dans l’étroite vallée à la vitesse de 70 km/h. La gigantesque masse d’eau percute Fréjus et se partage en deux fleuves de boue. La ville est inondée et détruite. Le nombre de victimes s’élèvent à  423 morts dont deux cents cadavres seulement ont pu être identifiés et des milliers de sans-abri.

En quelques minutes, étaient balayés ouvrages d’art, maisons, circuits électriques et de distribution d’eau, voies ferrées et Fréjus se trouvait isolée du monde, à la recherche de ses morts.

Dans un émouvant élan de solidarité, la France entière se mobilise aussitôt au secours des victimes. Des quêtes et des collectes de vêtements sont organisées à grande échelle dans les écoles. Européens et Américains se mobilisent également. Il s’agit de la première manifestation mondiale de solidarité pour la plus grande catastrophe de ce genre qui ait jamais touché la France.

« De tous les ouvrages construits de main d’homme, les barrages sont les plus meurtriers« . Ces mots sont ceux du constructeur du barrage de Malpasset, l’ingénieur André Coyne alors président de l’Association internationale des grands barrages et spécialiste incontesté de la construction des barrages-voûtes, qui décède 6 mois après la catastrophe.

La construction d’un barrage dans la région de Fréjus est envisagée juste après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre des grands projets d’équipement du pays. Son principal objet est de constituer un réservoir d’eau permettant d’irriguer les cultures dans une région où les pluies sont très irrégulières. Le conseil général du Var, maître d’œuvre de l’opération, reçoit une importante subvention du ministère de l’Agriculture. Il fait alors appel au grand spécialiste des barrages-voûtes, André Coyne, « auteur » du barrage de Tignes par exemple. Le site choisi est celui de la vallée du Reyran, un torrent sec l’été et en crue l’hiver, au lieu-dit  » Malpasset « , un nom qui perpétue le souvenir d’un brigand détrousseur de diligences.

L’inauguration, puis la mise en eau partielle du barrage a lieu en 1954. Mais la faiblesse des pluies des années suivantes d’une part, et une longue procédure judiciaire avec un entrepreneur qui refuse de se laisser exproprier, d’autre part, ralentissent singulièrement cette phase de remplissage. En 1959, on l’a évoqué, la Côte d’Azur reçoit des pluies diluviennes, le niveau de l’eau monte très rapidement, trop rapidement pour permettre un contrôle convenable des réactions du barrage. D’autant qu’il est impossible, à ce moment, de lâcher de l’eau : la construction de l’autoroute juste en aval du barrage interdit d’ouvrir les vannes, sauf à endommager les piles d’un pont dont le béton vient d’être coulé. Le 2 décembre à 18 heures, les responsables du barrage décident tout de même de laisser s’écouler un peu d’eau, la capacité maximale de l’ouvrage étant atteinte.

Le barrage est donc rempli à ras bord lorsqu’il cède ce 2 décembre 1959. Le plan ORSEC – plan d’organisation des secours – est immédiatement déclenché. Les militaires des bases locales ainsi que des hélicoptères de l’armée américaine basés dans les environs s’occupent de porter secours aux survivants, mais aussi de dégager les corps des victimes. A Fréjus et tout au long de la vallée en aval de Malpasset, lorsque les eaux se retirent, les sauveteurs découvrent le lendemain matin un spectacle de désolation. Le général de Gaulle, président de la République, venu sur place quelques jours plus tard, découvre une zone totalement sinistrée. Outre les victimes humaines, 2,5 km de voies ferrées ont été arrachés, 50 fermes soufflées, 1000 moutons et 80 000 hectolitres de vin perdus.

Après plusieurs années d’enquête, expertises et contre expertises, deux rapports sont remis aux autorités judiciaires, qui cherchent à déterminer les responsabilités du drame. Ils écartent l’hypothèse d’un ébranlement dû à un séisme – phénomène fréquent dans la région – ou à des explosifs utilisés pour la construction de l’autoroute. L’emplacement du barrage, en revanche, est mis en cause.

Les barrages-voûtes sont réputés pour leur exceptionnelle solidité, la poussée de l’eau ne faisant que renforcer leur résistance mais exige des études géologiques très approfondies et un contrôle permanent de l’ouvrage. Le barrage-voûte de Malpasset, destiné à l’irrigation avait été conçu selon des normes moins draconiennes que d’autres ouvrages hydroélectriques .

Malgré la très faible épaisseur du barrage de Malpasset : 6,78 m à la base et 1,50 m à la crête, ce qui en fait le barrage le plus mince d’Europe, la voûte elle-même est entièrement hors de cause. Mais ce type d’ouvrage doit s’appuyer solidement sur le rocher, ce qui n’était apparemment pas le cas à Malpasset. Certes, la roche, quoique de qualité médiocre, était suffisamment solide, en théorie, pour résister à la poussée. Mais une série de failles sous le côté gauche du barrage, « ni décelées, ni soupçonnées »  pendant les travaux de prospection, selon le rapport des experts, faisait qu’à cet endroit la voûte ne reposait pas sur une roche homogène. Le 2 décembre 1959, le rocher situé sous la rive gauche a littéralement « sauté comme un bouchon », et le barrage s’est ouvert comme une porte…

Cette catastrophe aurait-elle  pu être évitée ?

Des travaux supplémentaires, impliquant délais et coûts accrus, auraient-ils permis d’éviter la catastrophe ?

A-t-on pêché par hâte ou imprudence ?

Ce n’est pas, en tout cas, l’avis de la Cour de Cassation, dont l’arrêt conclut en 1967, après maintes procédures, « qu’aucune faute, à aucun stade, n’a été commise ». La catastrophe de Malpasset est un accident  rangé sous le signe de la fatalité. Selon les services secrets allemands, il s’agirait d’un attentat du FLN, piste qui n’a pas aboutie !

Un autre barrage, celui de Sivens dans le Tarn, a fait  la une de l’actualité voilà 10 ans et une seule victime Rémy Fraisse… mortellement blessé par l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme.

… mais c’est une autre histoire !

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