Une autre histoire – 13 février 1974, Alexandre Soljenitsyne est expulsé d’URSS

par | 10 février 2023 | Culture

Le 13 février 1974, voilà exactement 49 ans, Alexandre Soljenitsyne est expulsé d’URSS. L’écrivain soviétique rendu célèbre grâce à son roman Une journée d’Ivan Denissovitch (1962) et à l’appui de Krouchtchev, est rapidement mis à l’index sous son successeur Brejnev, tout en étant encensé par la critique littéraire internationale.
Fin 1973, il fait passer à l’Ouest clandestinement puis publier en France le manuscrit de L’archipel du goulag décrivant le régime concentrationnaire soviétique qu’il a connu de 1945 à 1953. Arrêté le 12 février, il est expulsé le lendemain vers la RFA après avoir été déchu de la nationalité soviétique.

La femme d’Alexandre Soljenitsyne s’est entretenue par téléphone le soir du 13 février, de Moscou, avec son mari, arrivé quelques heures plus tôt en Allemagne fédérale. L’écrivain lui a déclaré qu’il était en bonne santé et qu’il avait passé la nuit suivant son arrestation, mardi soir, à la prison moscovite de Lefortovo.

On s’interroge encore sur les conditions dans lesquelles Soljenitsyne a accepté de quitter l’Union soviétique. Les agences de presse citent des sources soviétiques à Moscou, selon lesquelles l’écrivain a accepté volontairement de partir, après l’entretien qu’il a eu mardi avec un représentant du ministère public. De même source, on indique que les autorités avaient l’intention de prévenir quelques jours à l’avance Soljenitsyne de sa prochaine expulsion. C’est dans ce but qu’il aurait été convoqué par le parquet vendredi dernier, mais son refus de se rendre aux convocations qui lui étaient adressées aurait conduit à brusquer son départ. Toujours de source soviétique, on indique que la famille de Soljenitsyne serait autorisée, en le rejoignant, à emporter tous les documents dont il peut avoir besoin pour la poursuite de son œuvre.

De nombreux hommes d’État ont exprimé leur émotion devant la mesure d’expulsion qui vient de frapper Alexandre Soljenitsyne et ont fait savoir que leurs pays respectifs seraient prêts à accueillir l’écrivain, s’il souhaitait y résider. C’est notamment ce qu’a déclaré à Washington le secrétaire d’État américain, M. Henry Kissinger, qui a ajouté :  » Les États-Unis ont toujours apprécié et considéré avec sympathie les manifestations de liberté dans toutes les sociétés. Nous avons regretté les événements qui ont pu interdire ce processus. Nous ne connaissons pas assez bien les circonstances du départ de M. Soljenitsyne  »

A Moscou, la plupart des journaux publient, ce jeudi 14 février, une information de l’agence Tass annonçant l’expulsion de Soljenitsyne. La nouvelle est brève, difficile à trouver au bas de la dernière page. La discrétion avec laquelle les Soviétiques sont informés de la conclusion de l’affaire Soljenitsyne contraste avec l’ampleur de la campagne qui avait été lancée contre l’auteur de l’Archipel du Goulag. L’agence Tass précise que  » la famille de Soljenitsyne pourra le suivre dès qu’elle l’estimera nécessaire « . Ce moment pourrait être très proche. La femme de l’écrivain a fait savoir, en effet, qu’elle le rejoindrait en exil le plus rapidement possible avec leurs enfants.

Les journaux ne précisent pas vers quel pays Soljenitsyne a été expulsé, mais le 13 février au soir les Moscovites étaient au courant. Le choix de l’Allemagne fédérale est particulièrement judicieux du point de vue des dirigeants de l’U.R.S.S. En évitant les États-Unis, on ne donne pas l’impression de céder à une campagne américaine, de se plier à des exigences américaines. En choisissant l’Allemagne fédérale, on prend au mot le chancelier Willy Brandt, qui avait affirmé dans un discours prononcé au début du mois que Soljenitsyne serait le bienvenu en R.F.A. On évite donc de longues tractations et on suggère aussi que Soljenitsyne,  » le Vlassov de la littérature « , selon la Gazette littéraire, retourne auprès des siens. Tout cela est d’une certaine logique : Soljenitsyne, coupable, d’après la presse soviétique, d’avoir fait l’éloge du collaborateur Vlassov, se retrouve au pays des revanchards allemands…

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’expulsion de Soljenitsyne n’a pas été le résultat d’une décision improvisée prise à chaud. Les discussions avec le chancelier Brandt auraient commencé au début du mois par l’intermédiaire de l’ambassade soviétique à Bonn. L’escalade à laquelle on a assisté – en particulier la déclaration faite par Soljenitsyne niant toute légitimité aux institutions soviétiques – n’aurait donc joué aucun rôle dans la décision des Soviétiques. Celle-ci était prise depuis longtemps et, selon certaines versions, même si Soljenitsyne était resté silencieux, il aurait été chassé tout de même. Il a bel et bien été expulsé de son pays pour avoir écrit l’Archipel du Goulag.

Proscrit d’U.R.S.S.Alexandre Soljenitsyne s’installera finalement aux Etats-Unis pour vingt ans d’exil, vingt ans d’écriture forcenée en sa retraite américaine du Vermont qui n’ont pas entamé l’énergie du dissident. Il rentrera en Russie en 1994 où Gorbatchev l’avait réhabilité en 1989. Il y décèdera en 2008 à 89 ans.

Quand il choisit de retrouver sa mère patrie en 1994, il va le faire lentement, étape par étape, d’est en ouest. Son avion fait escale à Magadan, cette porte de l’enfer concentrationnaire de la Kolyma, cette ville perdue de l’extrême orient russe .

 

Tel un pape, Soljenitsyne baise ce sol foulé par les martyrs anonymes auxquels son monumental Archipel du Goulag avait donné la parole. À chaque gare, les anciens zeks (les détenus) viennent à sa rencontre. Chaque soir, il écoute les doléances d’un public désorienté par la chute du communisme, les réformes économiques, la perte d’un empire. Humiliés et offensés ils trouvent Soljenitsyne attentif à leurs préoccupations. Une fois de plus, Soljénitsyne disait non. Non à la liberté économique débridée, non à la confiscation de la démocratie par les anciens profiteurs. Soljenitsyne n’est pas un politicien, il ne présente pas un programme susceptible de rassembler des adhésions. Il est avant tout un rebelle qui dit non. Une grande part du malentendu entre lui et l’Occident vient de ce que l’Occident a toujours mal perçu la racine spirituelle du non de Soljenitsyne. Cette racine est religieuse : l’homme a trouvé la foi dans le dénuement absolu des camps. Son premier refus a été celui de l’avilissement de l’homme matriculaire. De ce refus central sont venus les autres : refus de l’idéologie, refus des pouvoirs qui annihilent les personnes, refus du progrès économique transformé en veau d’or, du libéralisme politique qui engendre une jungle économique et sociale. Ces refus ont leur histoire, Soljenitsyne ne les a pas tous articulés d’un coup, mais l’un contenait l’autre.

Soljenitsyne a dénoncé toutes les formes de totalitarismes, du stalinisme à la Terreur révolutionnaire française, ce qui lui a valu de nombreux ennemis. Ce rebelle qui dit non, a connu la joie intense que procure précisément le refus. La jubilation de la révolte, le rire de l’esclave affranchi, la mordante ironie de l’imprécateur marquent son œuvre.

Quand il retrouve sa patrie russe après vingt ans d’exil, son retour triomphal fait penser en France à celui de Victor Hugo en 1870 après 19 ans d’exil mais lui …. c’est une autre histoire

Version audio avec illustration musicale à écouter sur Radio Pays d’Hérault ICI

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