Pour Dorgères, le temps de la prison arrive avec la Libération. C’est la fin des rêves pour lesquels il avait milité. Pour autant, ses méthodes tactiques et certaines composantes de son idéologie sont encore présentes aujourd’hui.
Le 18 août 1944, des résistants arrêtent Dorgères dans l’Indre alors qu’il se rendait à bicyclette à Vichy pour rencontrer Pétain.
En raison de ses fonctions à Vichy il est ensuite incarcéréà Fresnes. Il reste 19 mois en prison avant que son procès s’ouvre le 3 février 1946. Il est acquitté de l’accusation de hautetrahison.
La cour de justice transmet son dossier à la Chambre civique de la Seine, qui le condamne le 20 octobre 1946 à dix ans d’indignité nationale. Comme beaucoup d’autres pétainistes il est ensuite amnistié pour. . . services rendus à la résistance.
Au début des années 1950, les manifestations paysannes reprennent. Le comité de Guéret dans la Creuse reprend une vieille tactique dorgériste : la menace d’un retrait massif des dépôts des caisses d’épargne.
Le 1er août 1953, 20 000 personnes sont réunies à Lisieux contre l’abolition des privilèges des bouilleurs de cru. En 1955, un groupe de bouilleurs de cru met à sac la recette des contributions indirectes de Pont-l’Évêque.
Dans la Sarthe, une résistance générale à la création de la Mutualité sociale agricole est organisée par les partisans de Dorgères.
Pendant la guerre d’Algérie, en février 1960, il participe à Amiens à une manifestation de l’OAS extrêmement violente. C’est sa dernière action publique, il mourra seul, malade et isolé le 22 janvier 1985.
Les crises agricoles ont donné au fascisme européen ses premiers bastions, le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne.
Dans les années 1930, la France comptait encore 50 % de paysans. Aucun gouvernement ne pouvait survivre sans le soutien des paysans.
Dorgères a oscillé entre une tentation fasciste et une tentation corporatiste nationaliste. Entre la droite réactionnaire et le fascisme. C’est ce qui explique l’échec d’une structure fasciste organisée et durable dans les campagnes, dans les années 1930.
Pour remplacer Dorgères, deux entitésissues du syndicalisme et de l’action directe vont apparaître.
À droite, la FNSEA, héritière de la Corporation paysanne pétainiste et le Centre national des jeunes agriculteurs (actuellement « JA ») passent aux postes de commande du syndicalisme agricole. Elles cherchent à faire pression sur le gouvernement, sans vouloir le renverser. Elles optent pour la cogestion.
Si le monde paysan des années 1960 n’imagine pas s’en prendre à la Ve République,en revanche il sait très bien faire pression sur elle.
Sans avoir jamais vraiment disparu des radars de la contestation paysanne sous des formes sporadiques(en particulier dans le midi viticole),l’action directe nationale fait un retour tonitruant en 1984, quand Bruxelles introduit des quotas de production laitière pour réduire les excédents de production.
Depuis lors, l’action directe est consubstantielle des mobilisations paysannes.
Aujourd’hui, le recours paysan à l’action directe n’entend plus « changer l’État » comme le proclamait Dorgères dans sa remise en cause radicale de la démocratie parlementaire. Il entend faire pression sur lui pour obtenir satisfaction.
La Coordination rurale est actuellement la structure la plus proche du dorgérisme, elle cultive la même radicalité, les mêmes cibles et les mêmes errements.
Ses leaders se livrent la même lutte d’influence que dans les années 1930.
Ils ouvrent de fait une nouvelle question : un fascisme rural peut-il renaître dans la France des années 2020 ?
Si oui, ce fascisme peut-il se connecter avec un fascisme urbain ?
La réponse à ces deux questions sera lourde de conséquences pour l’évolution de la société française dans les mois et années à venir.