Au moment où en France et dans le monde la droite extrême et l’extrême droite remettent en cause l’État de droit, il est temps de se rappeler comment le fascisme procède pour le supprimer. En Italie, l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti aurait pu signifier la fin du fascisme. À l’inverse, il a signifié la fin de l’État de droit.
Italie 1924 : meurtre de Matteotti (6) la capitulation
31 juillet 1925, un an et un mois après l’assassinat de Matteotti, à l’occasion du 25ième anniversaire de son règne, le roi d’Italie Victor-Emmanuel III, accorde une amnistie concernant les crimes ordinaires et militaires.
Deux jours plus tard, le 2 août, pour son jubilé, le souverain étend cette amnistie aux crimes politiques.
Dix jours seulement après leur attentat, les agresseurs de Giovanni Amendola, leader de la droite libérale sont déjà pardonnés (voir épisode précédent).
Pire, la dénonciation de la violence fasciste espérée, attendue, réclamée, par le même Amendola ne sera jamais formulée.
Toute l’Italie comprend enfin que la signature du roi en bas du décret d’amnistie, est la preuve de sa volonté d’en finir avec la question morale soulevée par l’assassinat de Matteotti.
Le roi n’interviendra pas, la crise politique est close, le dernier clou est planté sur le cercueil du député socialiste.
Il y a pire encore. La veille du décret, redoutant les manifestations du camp antifasciste, le ministre de l’Intérieur Federzoni a envoyé un télégramme aux préfets les invitants à : « Tuer dans l’œuf, toute mobilisation. »
Il n’y aura pas de mobilisations. Le ressort antifasciste est cassé. L’attente d’une intervention royale a fourvoyé la mobilisation nécessaire dans une impasse. Le théoricien de cet erreur politique, Amendola, boit le calice jusqu’à la lie. Il écrit une vibrante lettre au roi où il s’indigne de l’alliance entre fascistes et mafiosi en Sicile.
Le bilan de l’été 1925 est catastrophique. Amendola est blessé physiquement, mort politiquement. De nombreux journalistes et militants politiques de toutes tendances, sont contraints de s’expatrier.
Le 19 septembre 1925, le parti socialiste italien décide de retourner au parlement, il termine honteusement sa sécession de l’Aventin.
Face au fascisme il n’existe plus qu’une armée de fantômes institutionnels. Fantômes qui ont cru que le roi pouvait sanctionner Mussolini.
Ce n’est pas avec de la naïveté que l’on change le cours de l’histoire.
Le 23 septembre 1925, la nouvelle respectabilité de Mussolini est soumise à une épreuve décisive : le mariage princier de la maison de Savoie.
Dans ce mariage princier, Mussolini, véritable pièce rapportée chez les têtes couronnées, est là en tant que détenteur du collier de l’Annonciade, dont il a été décoré en 1924. Ce collier et cette distinction l’élèvent au titre très officiel de « cousin du roi ».
C’est la première fois depuis des mois que le roi et le « Duce » du fascisme se retrouvent en public.
Quand Mussolini s’approche de la mariée pour la saluer, le roi, son père, se tient derrière elle.
Ostensiblement, le roi d’Italie fend les rangs de ses pairs, les aristocrates d’Europe, pour étreindre un roturier, son premier ministre : Bénito Mussolini.
Dans une scène qui aurait pu être risible, il l’étreint du bas de son mètre cinquante, il se serre contre son buste, comme un roi enfant, comme s’il cherchait à être protégé.
Cette étreinte royale au fascisme efface une année de tensions, cinq années d’assassinats et instaure la fin de l’État de droit.
Giacomo Matteotti vient d’être assassiné une deuxième fois à titre posthume.
Pour les 20 ans à venir, le fascisme n’a plus d’ennemis institutionnels à abattre. Il va régner en maître absolu dans la péninsule italienne, exporter sa doctrine sa doctrine en Europe et dans le monde.
Il faudra la révolte armée des partisans italiens pour s’en débarrasser.
(J’ai rédigé cette série de six épisodes à partir de la lecture de l’excellent livre d’Antonio Scurati « M, l’homme de la providence » édité aux éditions « Les Arènes », paru en 2021. Il est vendu 25 euros et compte 660 pages. Je vous en recommande vivement l’achat.)